Perspectivia

Mon tres cher Frere

[…] On me fait sans cesse la guerre ici sur mes distractions, mes Sentiments y sont si bien [ce][? ]connu qu’on me reproche toujours | d’etre a Postdam[ Potsdam]. On dit pour sur que le Prince Edouard a été Jnconito ici, et qu[’]il en est reparti de meme. On crois qu[’]il a passé le tems qu’on ignoroit son Domicile en Angleterre, et qu[’]il y retourne. J’ai vu hier tout le monde Fol, c’etoit le Mardi gras. On ne peut s’imaginer toutes Les extravaguance qui ont étée faites. Les Rues etoit pleine de masque, On crioit, on Danssoit, on faisoit un tapage qui ne laissoit pas d’etre divertissant. Voltaire a quité son sejour de geneve et s’est retiré dans le païs de Veau [Vaud ]Contamine est parti pour L’Jtalie. Les dissentions continuent toujours entre L’Eveques et le Parlement. L’Eveque de Mirepoix ne sachant coment se tirer d’affaire a eu recours au Card[inal]: Tancin. Mais on doute fort qu[’]il se mellera | de cette affaire[,] si ce n’est pour tacher d’apaiser les esprits[;] selon toutes Les apparences L’Eveq[ue]: de Mirepoix sera disgracié. Tout le monde l’abbore. On m’a conté un bon mot de L’Ambass[adeur]: d’Espagne. Jl demandoit a Mirepoix un Bennefice pour un Eveque, en lui faisant [et cella del ]comprendre que le Roi son Maitre s’interessoit au perssonage. Mirepoix [S… ]lui repondit. Qu[’]il etoit honteux pour les Eclesiastiques qu[’]ils ne fussent j’amais contents. Que l’esprit de L’Evangile prechoit la pauvreté et le mepris des honneurs et des richesses et que cependant les Moines en etoit Jnssatiable. Que cett Eveque n’avoit pas lieu de se plaindre ayant été simple moine et etant parvenu a une des grandes Dignitez Eclesiastique. L’Ambassadeur lui repondit. Memento homo. Mirepoix fut si confus | qu[’]il accorda le bennefice. On croit que le Duc de Noragaï deviendra gouverneur du petit Duc de Bourg[ogne]: et M[onsieu]r de Calviere sous gouverneur. Jl ne scauroit tomber en de meilleures mains. Ce dernier est un [l… ]home d’un merite reconnu[,] plein de Sentiments, de Talents et de scavoir. Jl a été page de Louïs 14 dont il m[’]a conté beaucoup d’Anegdotes, et a toujours été aupres de Louïs 15 qu[’]il a amusé dans sa jeunesse. La petite M[ada]me[,] Fille du Dauphin[,] a la meme maladie de cette Fem[m]e qui est morte a paris. Ses os se plient, on croit qu’on la tirera d’affaire quoiqu[’]elle soit dans un etat pitoyable. Je me recom[m]ende encore a votre precieux Souvenir et suis avec tout le respect et la tendresse Jmaginable[,]

Mon tres cher Frere[,]
votre tres humble et obeïssante soeur et servante
Wilhelmine

[s. l. ][Avignon ]Le 13 de Fev[rier] 1755